Les crevettes! Elles sont bouilles, frites, cuites à l'étouffée, à la sauce créole, farcies la chapelure et au riz, invitées d'honneurs des gumbos et des jambalayas du sud de la Louisiane. L'histoire de pêche aux crevettes remonte à longtemps en Louisiane. Les pêcheurs ont tiré profit des marais et des estuaires du littoral louisianais dès les premiers postes de colons. En 1774, un des premiers voyageur en Louisiane, Le Page du Pratz, remarqua que la crevette étaient pêchée dans les lacs au sud de la Nouvelle-Orléans avec des seines, grands filets apportés de France. Dans les lacs et les anses peu profondes et le long de la plage, c'est en utilisant de petits pirogues ou en marchant dans les eaux peu profondes, que l'on attrapait les crevettes avec des filets de seine.
Dans les premières années, les crevettes était en grande partie un produit vendu frais sur les marchés locaux. L'exportation de crevettes sur le marché oriental commença dans le dernier quart du 18e Siècle avec la venue des premiers immigrants chinois qui introduisirent les plateformes de séchage pour les petites crevettes
Le développement de l'emballage à la chaîne améliora les techniques de conservation, et dès 1880 le marché de la distribution avait considérablement augmenté. A mesure que le volume des prises augmentait pour satisfaire la demande grandissante du consommateur, la pêche à la crevette s'est affirmée comme activité traditionnelle importante en Louisiane au vingtième siècle.
Il y a deux types de pêcheurs de crevettes en Louisiane; ceux qui pêchent avec des embarcations plus petites dans les eaux intérieures et peu profondes, et ceux qui pêchent en mer, dans les eaux fédérales, avec des bateaux plus grands. Les pêcheurs des eaux intérieures opèrent pendant les saisons régulées par le Département louisianais des Eaux et Forêts. Souvent, l'équipages est constitué des membres de la famille, et la pêche peut durer de un à plusieurs jours. Les plus grands navires, parfois également des entreprises familiales, sont équipés pour la pêche en mer pendant des périodes plus longues et peuvent opérer l'année durant.
La plupart des pêcheurs saisonniers se sont installés le long des bayous du sud de la Louisiane et le long du fleuve inférieur du Mississippi. Beaucoup s'adonnent selon la tradition à la pêche en général, et à la pêche à la crevettes en particulier, pendant les mois du printemps, de l'été, et de l'automne, ensuite à la pêche aux huîtres, et à la chasse à la trappe l'hiver. L'industrie de la crevettes a vu ses rangs de pêcheurs gonfler avec l'arrivée de nouveaux venus. Beaucoup en effet choisirent de déserter les villes et leurs industries préférant devenir leur propre patron. Et enfin, bien que, traditionnellement, beaucoup de pêcheurs à la crevette en Louisiane ont des origines françaises, les vagues d'immigrants chinois, philippins, croates, et vietnamiens ont également choisit l'industrie de la crevettes comme moyen de subsistance.
Les crevettiers en Louisiane étaient construits sur le modèle des bateaux de pêche méditerranéens traditionnels. Désigné sous le nom des canots, ces bateaux de navigation étaient équipés d'une dérive, ou d'une quille pivotante, adaptée aux eaux peu profondes. De nos jours, les crevettiers utilisés dans les eaux intérieures du golfe s'inspirent pour la plupart de ces premiers modèles de lougres. Le terme lougre vient de l'anglais lugger qui lui-même vient du terme lugsail qui était un gréement de voilure des premiers bateaux composé d'une unique large voile à bourcets. La lougre d'aujourd'hui vue le long des bayous, des lacs et des baies de la Louisiane est une embarcation à fond plat et à faible tirant d'eau conçue pour les eaux peu profondes. Ces bateaux font entre 20 et plus de 40 pieds de long. Le moteur et la timonerie, qui remplacent la caisse de la dérive des premiers voiliers, sont à la poupe, alors que les compartiments de stockage du poisson sont à l'avant. A ce jour, on ne sait toujours pas par qui et quand ce genre de bateau fût introduit en Louisiane. Mais l'on sait que c'est un pêcheur d'huîtres de la Dalmatie (en Croatie) qui s'est installé dans les marais d'eau douce du sud-ouest de la Louisiane à la fin du 19e siecle qui le popularisa et l'adapta aux contingences de la pêche aux crevettes modernes.
Les plus grands crevettiers d'aujourd'hui destinés à la pêche en mer furent introduits par les pêcheurs de la Floride en 1938. Ceux-ci contribuèrent ainsi au développement de l'industrie de l'état. Ces navires de type Sud-Atlantique, de l'ordre de 50 à 65 pieds de long, ont un grand tirant d'eau et des cales de réfrigération profondes. Des navires à la coque d'acier propulsés par de puissants moteurs diesel sont maintenant chose commune Ces larges bateaux de crevettes sont généralement équipés pour tirer deux filets.
Un troisième type de bateau, la pirogue Lafitte, est également utilisé pour la pêche aux crevettes sur la côte de la Louisiane. Inspiré des bateaux P.T de la 2e guerre mondiale construits en Louisiane, l'pirogue Lafitte dérive de ce modèle d'embarcation. Traditionnellement construit en contre-plaqué marin ou en planche de cyprès, ils sont maintenant plus répandus en fibre de verre et en aluminium. Ces embarcation comprennent une coque en demi V plus évasée et enflée dans la section bombée que les pirogues traditionnelles plus petites. Utilisés principalement en tant que crevettiers, entre 18 et 45 pieds de long, ils sont généralement construits dans de petits chantiers navals par des spécialistes et parfois par les pêcheurs eux-mêmes. Emile Dufrene de Lafitte, un louisianais, était le constructeur d'une partie des premières pirogues Lafitte. Ils sont conçus avec un petit tirant d'eau au ligne pure, propulsé par des moteurs automobiles adapté à la marie (converted to inboard marine use). Cela leur permet de fonctionner efficacement dans les lacs et les eaux intérieures ainsi que dans les eaux peu profondes de la côte. Ils sont équipés de petites trolls ou des filets à ailes, communément appelés "filets papillon" (éperviers = filet coniques chargés de plomb).
Vers la fin du18e Siècle, l'usage de la seine était répandu le long de la côte louisianaise. Les équipages de huit à vingt hommes pilotaient les lougres à voile plus grandes et conduisaient de plus petites pirogues pour placer les filets qui pouvaient faire jusqu'à 1800 pieds. Tandis que l'équipage dirigeait la lougre, les hommes dans les petites pirogues disposaient le filet en ramant au loin de la lougre et en revenant par derrière. Le plomb, ou le poids, le côté du filet qui traîne sur le fond, force les crevettes et les poissons à se rassembler au centre du filet, endroit le plus large qui forme comme une poche. Les crevettes étaient alors recueillies hors du filet, placées dans les cales du bateau et recouvertes de feuilles de latanier humides pour les garder fraîches. L'utilisation de la seine s'est prolongée jusqu'aux environs de 1930 pour plusieurs raisons. Ils convenaient parfaitement aux fonds boueux des eaux côtières et les filets eux-mêmes représentaient un investissement considérables pour les pêcheurs eux-mêmes.
En 1917, la troll, encore utilisée aujourd'hui, a été introduit dans le Golfe par les pêcheries de l'Atlantique qui les testèrent dans les premières décennies du 20e Siècle sur les côtes de la Caroline. Bien que l'adoption de la troll ait représenté un investissement considérable, exigeant l'adaptation de la lougre à l'essence ou au diesel, les utilisateurs s'en sont trouvés largement récompensés. Son utilisation a ouvert de nouveaux horizons au pêcheur en rendant possible la pêche en eaux plus profondes, et a augmenté la rentabilité de la main-d'œuvre. en réduisant l'effectif nécessaire de deux à trois. unités......
La troll est comme un filet conique en forme de sac avec deux panneaux ou portes reliés par des lignes à la bouche du filet. L'angle des panneaux, commandé par des" câbles de frein", règlent la largeur de la bouche du filet et garde la troll au fond. Les " Câbles de frein " sont les towlines (câbles de traction) indépendamment actionnés qui relient le filet au bateau. D'autres lignes agissant comme lest sont reliées à la bouche du filet pour le retenir au fond de la mer, ils maintiennent les flotteurs attachés au dessus du filet pour la flottabilité, et " chatouillez " la crevette du fond au filet
Après une drague d'environ deux heures, la troll (chalut floridien) est remontée avec un treuil électrique, ramené sur le flanc du bateau, et hissé sur le pont où le contenu est alors vidé, trié, et entreposé dans les cales. A l'origine, les crevettes étaient transférées sur des bateaux-frigo qui suivaient l'évolution des crevettiers et transportaient les crevettes sur les plateformes du littoral où elles étaient traitées et vendues. Certaines crevettes étaient directement vendues par les pêcheurs aux plateformes de séchage.
Vers 1933, dans le bayou de la paroisse de Terrebonne, un autre type d'installation de pêche au chalut était d'usage. Appelé troll de nuit ou filet-papillon (aile), elle est pratiquée la nuit dans les eaux peu profondes, quand les la crevette sont proche de la surface de l'eau. Le gréement se compose de deux filets à ailes rectangulaires, ou de cadres, les mailles des filets ayant de 3/4 pouce. Ces filets sont articulés à l'arc du bateau de sorte que les filets puissent être descendus perpendiculairement ou soulevés horizontalement au navire. Certains des cèdres pour les filets papillons venaient de l'armature des barils utilisés dans les usines de sucre. Ce type de filet est généralement utilisé sur de petites lougres rapides, et des esquifs Lafitte, ou est monté aux docks ou aux plateformes le long des berges de la voie d'eau.
Tandis que la pêche à la crevettes reste un mode de vie pour beaucoup de gens du sud de la Louisiane, les changements se produisent qui affecteront la continuité de cette pêche traditionnelle et la disponibilité de la crevette. La pêche à la crevette est devenue
un marché beaucoup plus concurrentiel, avec plus de permis accordés maintenant qu'il y a dix ans. En conséquence, la prise par individu a chuté. Les Règlements fédéraux exigeant l'utilisation de dispositifs qui excluent les tortues sur les bateaux pêchant en mer et
l'augmentation les coûts des filets, du carburant et de la glace viennent encore rendre les choses plus difficiles. Plus la pêche a été abondante, plus les prix à la livres baisses. L'augmentation constante de crevettes meilleures marchés importée d'Amérique du Sud et
d'Asie du Sud-Est a considérablement réduit le marché des pêcheurs locaux, causant le ressentiment parmi les pêcheurs de la Louisiane. La pollution dans les voies d'eau et un marais disparaissant rapidement viennent s'ajouter au train des calamités.
Même si la pêche à la crevette est encore un mode de vie et une tradition familiale en Louisiane, l'accumulation des conditions défavorables obligent beaucoup de pêcheurs à abandonner le métier. Leurs enfants n'apprendront pas à manipuler les trolls, à piloter un bateau ou à partager la convivialité d'une session de réparation de filets. L'esprit de communauté des pêcheurs le long des bayous et l'expérience d'une famille travaillant ensemble sera perdue à cause des changements imposés par le gouvernement, l'industrie, et développement du marché étranger . C'est seulement à travers les histoires de pêcheurs que la pêche à la crevette se perpétuera comme mode de vie en Louisiane.
Cet article est paru la première fois dans le catalogue du Louisiana Folklife festival en 1990. Laura Landry est une archéologue actuellement installée à Houston, au Texas.